1ers chapitre - Le café des faux-semblants
Chapitre 1 - Mélodie
Je me laisse porter par l’ascenseur pour atteindre enfin l’étage où je travaille. Oui, vous imaginez ? J’ai un bureau dans un étage surélevé. Je bosse dans une agence immobilière peu commune, je ne me trouve pas dans l’une de ces petites boutiques avec pignon sur rue. Non, je travaille dans une entreprise qui ressemble plus à une usine à gaz, rachetant des terrains pour y bâtir des centres commerciaux, racheter de vieux immeubles pour un riche client et j’en passe. J’ai travaillé dur pour en arriver là, à ne jamais compter mes heures. Des années plus tôt, j’obtenais avec mention mes diplômes, et étais rapidement engagée dans une grande agence immobilière. C’était excitant de côtoyer le monde des adultes enfin, et d’en faire partie. Kyle, mon ami d’enfance, dont je ne m’étais encore jamais séparée, était parti étudier à l’étranger. Je me retrouvais seule et dans une grande ville que je ne connaissais pas vraiment. J’avais réussi à me trouver un tout petit appartement, avec salle de bain sur le palier, l’horreur. Je trimais dur, faisais des heures supplémentaires à ne plus pouvoir les compter, pour amasser autant d’argent possible.
Mes efforts ont payé. Moins de trois ans plus tard, j’avais le luxe de pouvoir me payer un appartement beaucoup plus grand, à deux pas de mon travail où j’avais gravi des échelons. Mon nouveau logement était spacieux, lumineux et on aurait pu croire qu’il sortait tout droit d’un magazine de déco. Plutôt moderne, je ne m’étais occupée de rien, laissant le soin de le faire au décorateur engagé pour le faire à ma place. De toute façon, je n’en avais pas le temps. Je ne rentrais chez moi que pour manger, prendre une douche et dormir. Mon univers se trouvait au vingt-cinquième étage d’une tour au cœur de la ville.
Je contourne la salle de pause, longe le couloir vitré en saluant mes collègues au passage et m’enferme dans mon bureau. J’enlève mes escarpins avant de m’installer dans mon fauteuil en cuir. Mes pieds ne supportent toujours pas ce genre de chaussure toute une journée malgré l’entraînement que je m’impose pour les garder aux pieds de plus en plus longtemps. Je place une jambe sous mes fesses comme j’en ai pris l’habitude et allume mon ordinateur afin de vérifier mes mails. Cela me prend plus d’une heure, le temps de répondre à toutes les demandes ou presque. Les notes internes sont plus nombreuses que l’on pourrait le croire. Je vais encore passer la journée à travailler pour la recherche d’un terrain. Un nouveau centre sportif qui veut s’implanter. Le boulot de rêve, ou presque. Ce n’est pas ce que je me faisais de l’idée d’être agent immobilier à la base, mais forcé d’admettre que je gagne très bien ma vie et que je bouge parfois sur tout le pays. Je m’apprête à imprimer le cahier des charges de mon client quand un dernier mail apparaît sur mon écran. Par curiosité et pour gagner du temps, je l’ouvre. Je traite une demande interne, donnant mon avis pour une décoration future, pour un projet que je ne gère que de loin.
Je passe une bonne partie de la matinée à chercher le lieu idéal de ce nouveau projet. Cela me prend un temps fou, mais je déniche une petite perle au cœur de la ville. Je me programme la journée du lendemain pour l’étude de celui-ci.
♥♥♥
J’arrive sur place à la première heure et je suis surprise de découvrir un café à la devanture plutôt branchée, coincé entre deux hauts immeubles. Il n’était pas mentionné sur les plans que j’ai trouvés la veille et cela ne m’arrange pas vraiment, pas du tout même. L’ambiance a l’air assez cosy et je me risque à y rentrer. L’intérieur est tamisé, le bar est chaleureux, les quelques tables paraissent propices à l’intimité, quelques tables basses se payent le luxe d’avoir de beaux fauteuils en cuir. Les couleurs chaudes me donnent envie de m’installer et de me détendre ici, une bonne tasse de café à la main. Je ne comprends pas pourquoi avoir choisi de mettre un établissement ici. Le prix sans doute, je ne vois que ça. Certes, il n’est pas placé au meilleur endroit, mais le bouche-à-oreille doit fonctionner, car il y a déjà une petite file d’attente devant le comptoir.
— Mademoiselle, bonjour, peut-on vous aider ? Ou vous servir quelque chose ?
Je me retourne pour me retrouver face à un homme de belle taille, vêtu d’un tee-shirt et d’un jean, accompagné d’un tablier estampillé du logo du café. Ses cheveux bruns en bataille lui donnent un petit effet rebelle absolument craquant et ses yeux sont tout simplement waw waw wawouh.
— Euh, oui… bonjour, c’est un bel endroit.
— Merci. Je peux vous proposer quelque chose ? Installez-vous.
— Je n’ai pas beaucoup de temps. Je vais vous prendre la spécialité du chef, dis-je avec un sourire.
L’homme semble amusé par ma demande et me laisse le loisir de découvrir une dentition blanche parfaite.
— Très bien, je vous prépare ça tout de suite. Je vous le mets à emporter, je suppose ?
— S’il vous plaît, se serait parfait. Merci.
— Bien. Asseyez-vous en attendant, je reviens avec votre commande tout de suite, me dit-il, le sourire aux lèvres.
J’en profite pour observer encore les lieux, l’ambiance, les clients, ainsi que le personnel. Ce dernier est aux petits soins, tous ont l’air d’avoir une petite attention pour chacun, un mot gentil. La personne qui m’a abordée me prépare mon café avec des gestes rapides et maîtrisés. Il revient comme promis avec mon gobelet à emporter. Il m’effleure le bras, ce qui me procure une petite décharge électrique sur la peau. Il ne semble pas l’avoir remarqué, mais mon cœur, lui, s’accélère soudain. Je me demande bien ce que mon organe vital me joue comme mauvais tour. Je le paie et rejoins mon bureau à la hâte.
Le café est chaud, mais surtout délicieux. L’un des meilleurs que l’on m’a servi à vrai dire.